Dans la tradition martiale japonaise, les techniques ne sont pas seulement des gestes à maîtriser : elles sont le prolongement d’un état d’esprit. Le concept de Gokyo — les cinq éléments — s’inspire des philosophies bouddhistes et shintoïstes, et offre une précieuse grille de lecture de notre manière de combattre, de penser, et d’évoluer. Il se décline ainsi : Chi (la Terre), Sui/Mizu (l’Eau), Ka (le Feu), Fū/Kaze (le Vent) et Kū/Kara (le Vide ou l’Éther).

Ce modèle se retrouve dans plusieurs disciplines, y compris dans la sculpture funéraire japonaise à travers le Gorintō (五輪塔), la stèle aux cinq anneaux, qui matérialise cette vision cosmique et que se retrouve également dans la pratique des Gokyo No Kumite en Shorinjiryu Kudaka-Ha. Alors que le Gorintō symbolise l’élévation de l’esprit après la mort, le Gokyo peut symboliser l’élévation du pratiquant dans son cheminement martial.

🌍 Chi – La Terre : la stabilité et la fondation (Blanche-jaune)

Dans la pratique, Chi représente ce qui est solide, fiable, la confiance en soi, enraciné. C’est notre posture, notre ancrage, notre capacité à tenir bon. Sans cette base, tout vacille. Mentalement, c’est la détermination tranquille, la force silencieuse.

Sur le Gorintō, Chi est la base carrée. C’est la fondation, autant dans la pierre que dans l’être.

💧 Sui/Mizu – L’Eau : l’adaptabilité et la fluidité (Bleue)

L’eau s’adapte à la forme du récipient, mais elle peut aussi éroder la pierre. L’eau recherche le chemin le plus facile et représente l’intelligence. En combat, Sui/Mizu incarne la fluidité, la capacité à se mouvoir sans résistance inutile, à absorber l’attaque. C’est l’écoute, la souplesse, le calme intérieur.

Dans le Gorintō, Sui est représenté par une sphère : sans arête, elle symbolise le mouvement et la transformation.

🔥 Ka – Le Feu : l’énergie et la passion (Orange-Rouge)

Ka, c’est l’explosion, l’intensité, l’instinct. C’est le kiaï, l’impact, la volonté qui jaillit sans retenue au bon moment. Sur le plan mental, c’est la motivation, le courage face à l’adversité, la prise en charge, le feu sacré qui nous pousse à avancer.

Le feu est symbolisé par une pyramide, une forme ascendante, qui évoque la montée de l’énergie.

🌬️ Fū/Kaze – Le Vent : la légèreté et la liberté (Verte)

Le vent ne peut être saisi. Il est imprévisible, rapide, insaisissable. Cet élément est, de mon point de vue, très représentatif de l’aïkido. Dans la pratique, est l’agilité, la stratégie, la capacité à changer de direction ou de rythme sans être limité par l’habitude ou l’égo.

Dans le Gorintō, cette essence est figurée par un croissant de lune : dynamique et fluide, mais tranchant.

🕊️ Kū/Kara – Le Vide : la transcendance (Noire)

Le plus difficile à comprendre, mais peut-être le plus essentiel. Kū/Kara, c’est l’espace entre deux techniques, le souffle entre deux pensées. C’est le détachement, la conscience pure, la clarté d’esprit. C’est le moment où le corps agit sans que l’ego n’intervienne. Le vide, ce n’est pas le néant, c’est le potentiel infini !

Au sommet du Gorintō, Kū est représenté par une forme de flamme ou de larme : immatérielle, insaisissable, mais toujours présente.

🧘‍♂️ Du Gorintō au Dojo : un même chemin d’élévation

Chaque élément du Gokyo nous invite à cultiver une qualité intérieure qui se manifeste dans notre pratique physique. En regardant un Gorintō, nous pouvons méditer sur notre propre parcours : de l’enracinement à la libération de l’esprit, chaque niveau est un palier de conscience à franchir. L’entraînement devient alors un moyen d’aligner corps, esprit et énergie, comme les cinq anneaux de pierre empilés les uns sur les autres.

🥋 Les éléments à la ceinture : une symbolique portée sur soi

Dans certaines écoles d’arts martiaux comme en Ninjutsu et en Karaté Kyokushinkai, les 5 éléments sont également les couleurs des ceintures relatives à leur niveau d’avancement technique et psychique.

Conclusion

Tout comme le Gokyo qui est une théorie « ésotérique » : c’est une invitation à pratiquer avec conscience. Chaque kata, chaque mouvement, chaque échange devient alors une manière de mieux comprendre notre propre nature. Et comme le Gorintō nous le rappelle, le but n’est pas simplement de devenir plus fort, mais de s’élever, intérieurement.