Le terme mushin contient le caractère de négation « 無 » (mu, signifiant « sans ») et le caractère « 心 » (shin, signifiant « cœur » ou « esprit »). Il s’agit d’un raccourci de mushin no shin (無心の心), une expression zen qui signifie littéralement « l’esprit sans esprit ». Cet état, aussi appelé non-esprit, désigne un esprit libéré de toute fixation mentale, de pensées envahissantes ou d’émotions perturbatrices — un esprit ouvert, disponible, pleinement dans le moment présent.
Dans les arts martiaux, on recherche mushin dans les moments de vérité, lorsque chaque fraction de seconde compte, pour pouvoir réagir avec justesse et spontanéité. Dans cette chronique, j’aimerais toutefois vous proposer une autre perspective de cet état : celle d’un esprit disponible à la créativité.
Dans le tourbillon du quotidien — travail, études, responsabilités familiales,… — notre esprit est souvent saturé. Nos ressources cognitives sont sollicitées de toutes parts. Pourtant, lorsque l’on s’accorde une pause, que ce soit en allant courir, méditer, pratiquer un kata ou simplement contempler le moment présent, il se produit quelque chose : une lucidité créative émerge. C’est souvent dans ces moments que me viennent des idées de bunkai, d’exercices pédagogiques, ou, comme aujourd’hui, l’inspiration pour écrire cette chronique.
Prendre un moment de pleine conscience ou mushin, nous rend plus efficaces par la suite. Je me souviens de mes années universitaires : il m’est arrivé de me heurter à des impasses dans mes travaux pratiques. Pris dans mes œillères, je ne voyais aucune solution. Mais après avoir donné mes cours de karaté — une discipline que je m’imposais avec rigueur — je revenais avec l’esprit soudainement dégagé, et les solutions apparaissaient naturellement.
Dans notre époque d’hyperconnectivité, il devient de plus en plus difficile de retrouver ces moments de mushin. Certaine personnes les fuient, car un esprit constamment occupé nous évite l’introspection. S’arrêter, méditer, se retrouver seul avec ses pensées, peut déranger. On préfère souvent remplir ces silences par toutes sortes de contenus. Je ne suis pas contre le divertissement, mais j’entends souvent : « Je n’ai pas le temps. » Pourtant, les statistiques sur le temps passé devant les écrans seraient probablement très révélatrices de l’occupation de leur temps et de leur esprit.
J’en suis venu à une autre prise de conscience : autrefois, nous devions prendre soin d’une seule vie — la nôtre, bien réelle. Aujourd’hui, nous en avons deux : la vie réelle et la vie virtuelle. Et cette deuxième vie exige énormément de temps et d’énergie pour être alimentée. C’est pourquoi je crois que la pratique des arts martiaux est sanitaire, au sens noble du terme. Elle permet de décrocher, de se reconnecter à soi-même et de retrouver un équilibre mental.
Je vous invite à découvrir les travaux de Sonia Lupien, neuroscientifique spécialisée dans le stress humain et ses effets sur le cerveau. Je recommande aussi le livre Deep Work (en français : Retrouver la concentration dans un monde de distractions) qui propose une méthode pour gagner du temps, améliorer son efficacité et retrouver un état de concentration profonde. Ces recherches s’accordent pour dire qu’on prend beaucoup soin de notre corps — souvent à des fins esthétiques — mais pas assez de notre santé cognitive. Une des grandes leçons de Deep Work : nous devrions nous consacrer à une tâche à la fois, plutôt que de jongler avec sept fenêtres ouvertes, de la musique en fond, et un téléphone nous sollicitant toujours à portée de main. Ce multitâche constant épuise notre cerveau.
En conclusion, je souhaitais vous offrir cette autre perspective de mushin : non seulement comme un état de présence dans l’action martiale, mais aussi comme un espace mental propice à la créativité, à l’introspection et à une meilleure santé mentale.
Larry Foisy