Les temps sont difficiles pour beaucoup d’entrepreneurs, surtout ceux qui opèrent des entreprises de services. On voit une grande couverture médiatique pour les restaurants, les cinémas, le domaine des arts … et je suis tout cœur avec eux. Mais, j’aimerais parler en mon nom et au nom de ceux qui ont des entreprises qui, comme la mienne, desservent tout ce qui a trait à l’activité physique.

Je dirige un centre d’arts martiaux traditionnels en plus d’une entreprise spécialisée (e-TAO.ca) en vente d’équipements d’arts martiaux, d’entraînement et de produits thérapeutiques.

Pour ceux qui s’y connaîtraient moins, la pratique des arts martiaux permet de se développer autant physiquement que psychologiquement et est accessible à tous les âges. En effet, plusieurs parents ont pu remarquer les bénéfices des arts martiaux sur leurs enfants ainsi que sur eux-mêmes. Le respect est au cœur de notre pratique et cela transparaît dans chaque karatéka, même à l’extérieur des murs de notre dojo (salle où l’on pratique). En temps de pandémie mondiale, les habitudes que nous transmettons, telles que la méditation, l’introspection et l’alimentation équilibrée, s’avèrent encore plus utiles afin de passer au travers.

Malheureusement, la situation de la COVID-19 nous affecte directement. Quantitativement, nous avons perdu plus de 75% de nos membres depuis le début de la pandémie et seulement 1% est revenu au retour en présentiel. Cela représente un recul de 7 ans sur l’évolution normale de notre dojo. En doublant d’efforts, nous avions espoir de redresser la situation en 3-4 ans… jusqu’à ce que nous apprenions la nouvelle des dernières mesures sanitaires. Cette annonce nous frappe de plein fouet, car elle vient ébranler les membres restants qui avaient la flamme que nous aurons peine à maintenir virtuellement. Pour bien illustrer notre situation, comprenez qu’il nous faut un grand bassin d’inscriptions afin de rentabiliser un dojo. 

En septembre dernier, afin de relancer notre centre, nous avons effectué plusieurs démarches : cours virtuels, campagnes publicitaires pour nos quatre clubs, augmentation du nombre de cours pour débutants, augmentation du nombre de professeurs pour supporter cette augmentation, abonnements de courte durée, etc. Malgré ces efforts, les moindres symptômes grippaux ou encore les éclosions scolaires ont fait en sorte que notre taux de rétention est demeuré à son plus bas depuis l’ouverture du centre il y a 15 ans.

À titre d’exemple d’impact que peut avoir la pandémie sur notre centre, notre club de Rock Forest a fermé puis réouvert trois fois depuis sa création en janvier 2020. Dépendamment de la durée du nouveau confinement, nous serons obligés de repartir ce club pour une quatrième fois, ce qui devient très coûteux.

Nous avons eu la chance d’avoir accès à quelques programmes d’aide financière, comme la CUEC, l’AERAM, Opération locale, et autres services d’accompagnement avec Progestion Sherbrooke, mais cela ne suffira pas à nous maintenir en fonction encore des années. Avant la pandémie, nous avons été victimes d’un dégât d’eau qui a rendu notre lieu de pratique peu accueillant pour de nouveaux karatékas le temps des travaux. Cela fut suffisant pour faire baisser nos revenus, ce qui a pour effet de biaiser la comparaison entre les revenus de 2019 et 2020 lorsque vient le temps de demander plus de subventions. En bon directeur et père de ma famille karaté, j’ai tenté d’offrir un plus grand nombre de formations en milieux scolaires, en CPE, en entreprise et autres, afin de subvenir aux dépenses du centre et lui permettre de survivre. Le mot survivre est important ici, puisque c’est réellement ce que nous tentons de faire, tout comme d’autres dans la même situation. Puisque j’ai dû injecter mes propres économies (mon fond de pension) dans mon entreprise, je n’ai pas eu accès à certaines subventions du gouvernement, l’entreprise étant « trop riche » pour y avoir droit. Nous avons cependant eu droit à quelques prêts, mais ils devront évidemment être remboursés puisqu’il ne s’agit pas de subventions; nous ne faisons donc que reporter notre problème.

Maintenant, je prends un instant pour vous parler de la situation de ma petite boutique e-TAO.ca. Comme je n’avais pas vendu beaucoup de matériel depuis le premier confinement, j’ai tenté de vendre à rabais, dans le but d’augmenter les liquidités du centre. En septembre dernier, voilà que les dojos reprennent en grand et une flambée de ventes d’uniformes, mais comme tous les fournisseurs, nous n’avions pas fait le plein. À la mi-septembre, j’ai passé une commande importante d’uniformes en provenance du Pakistan. Comme partout sur la planète, la pénurie de main-d’œuvre et la hausse de prix des matières premières font que le coût d’un uniforme moyen a bondi d’environ 20%. Mais, pour fournir les autres écoles qui commandent au centre, il fallait passer une commande… Avec les délais de la livraison, les frais de conteneur qui ont bondi, le prix de l’essence en hausse, la situation de la Colombie-Britannique (inondation ayant bloqué le transport ferroviaire), je n’ai toujours pas reçu, en date d’aujourd’hui, l’équipement en question qui devrait arriver en janvier prochain… Maintenant que nos dojos sont fermés, rares sont ceux qui optent pour s’inscrire à des cours d’arts martiaux virtuellement, d’où, j’aurai investi des milliers de dollars de relance pour stocker de l’équipement sur mes étagères. Heureusement, en cours de route, j’avais trouvé un fabricant qui était en mesure de m’envoyer par avion de l’équipement rapidement, à un prix majoré, naturellement, pour arriver à remplir mes étagères. Je sais que la situation est différente pour les restaurateurs puisqu’ils ont des produits périssables, ceux-ci ont donc droit à des compensations financières. Il n’en reste pas moins que dans la situation actuelle, ce n’est pas dans mon entrepôt que je dois avoir mes liquidités financières, mais bien dans mon compte bancaire.

En conclusion, je partage avec tous mes confrères pratiquants des arts martiaux, sports de combat, sports de lutte, pratiquants de tai-chi, yoga … une pensée pour vous ainsi que pour l’ensemble des entrepreneurs qui n’ont pas la visibilité pour manifester leur situation précaire. Quel que soit votre métier, je vous demande ceci : « Quel montant seriez-vous prêt à dépenser pour faire votre emploi? ». Plusieurs d’entre vous répondront probablement par « 0$, je demande au contraire une hausse de salaire ». Voici pourquoi les entrepreneurs sont hors norme. Depuis le début de la pandémie, je dois payer pour pouvoir faire le métier que j’aime et qui me passionne. J’envie actuellement tous mes collègues qui pratiquent les arts martiaux dans des gymnases communautaires, pour qui la pratique des arts martiaux n’est qu’un revenu d’appoint. Si la situation perdure, je me verrai dans l’obligation de faire de même.

Rédigé par : Larry Foisy (5e dan, Renshi)
Révisé par : Michel Fafard et la famille Landry/Barnes